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3. La visite du camp de Buchenwald par les civils allemands


3a. Extrait de Jorge Semprun, L’écriture ou la vie

« Dans la cour du crématoire, en tout cas, un lieutenant américain s’adressait ce jour-là à quelques dizaines de femmes, d’adolescents des deux sexes, de vieillards allemands de la ville de Weimar. Les femmes portaient des robes de printemps aux couleurs vives. L'officier parlait d'une voix neutre, implacable. Il expliquait le fonctionnement du four crématoire, donnait les chiffres de la mortalité à Buchenwald. Il rappelait aux civils de Weimar qu'ils avaient vécu, indifférents ou complices, pendant plus de sept ans, sous les fumées du crématoire.

Votre jolie ville, leur disait-il, si propre, si pimpante, pleine de souvenirs culturels, cœur de l'Allemagne classique et éclairée, aura vécu dans la fumée des crématoires nazis, en toute conscience !

Les femmes- bon nombre d’entre elles, du moins – ne pouvaient retenir leurs larmes, implorant le pardon avec des gestes théâtraux. Certaines poussaient la complaisance jusqu’à manquer de se trouver mal. Les adolescents se muraient dans un silence désespéré. Les vieillards regardaient ailleurs, ne voulant visiblement rien entendre. »

Source: Extrait de Jorge Semprun, L’écriture ou la vie, Folio, Gallimard, 1994 (pp.109-110).

Présentation 3a

Ce texte de Jorge Semprun décrit la visite imposée aux civils allemands de la ville voisine de Weimar après la libération du camp de Buchenwald par l’armée américaine. Le lieutenant Walter Rosenfeld soldat américain d’origine allemande est le guide de cette visite. Voici ce que nous apprend à son propos J. Semprun : « Il était de cinq ans mon aîné, avait donc vingt-six ans. Malgré son uniforme et sa nationalité américaine, il était allemand. Je veux dire qu’il était né en Allemagne, dans une famille juive de Berlin, émigrée aux Etats-Unis en 1933, lorsque Walter avait quatorze ans. Il avait opté pour la nationalité américaine afin de porter les armes, de faire la guerre au nazisme … »


3b. Photographie de Margaret Bourke-White, visite des habitants de Weimar, Buchenwald

Photographie de Margaret Bourke-White, visite des habitants de Weimar, Buchenwald Cliquer pour agrandir l’image
Source: Photographie de Margaret Bourke-White, visite des habitants de Weimar, Buchenwald, avril 1945 (Time-Life) in Mémoire des camps, Marval, 2001.

Présentation 3b

Margaret Bourke-White (1904-1971) participa comme photographe aux combats de la Deuxième Guerre mondiale. Elle suivit les troupes américaines en Italie puis en Allemagne. Elle photographia la libération du camp de Buchenwald avec les tas de cadavres, les déportés squelettiques et les fours crématoires. Elle recueillit les réactions des civils allemands de Weimar lors de la visite du camp de Buchenwald qui se situait à proximité de leur ville.

Questions

  1. A l’aide d’un dictionnaire ou d’Internet, présente en quelques lignes l’auteur de ce texte.
  2. A l’aide d’une encyclopédie ou d’Internet fais une recherche sur l’histoire du camp de Buchenwald et de la ville de Weimar, proche du camp.
  3. Que le lieutenant américain reproche-t-il aux habitants de Weimar ?
  4. Décris la photographie et mets-la en relation avec les souvenirs de Jorge Semprun. Que constates-tu ?

Voir les réponses aux questions dans l'onglet "professeur".


Liens

Réponses aux questions

  1. Jorge Semprun est né à Madrid en Espagne. Sa famille se réfugia en France où il s’engagea dans la résistance communiste. Arrêté en 1943, il est déporté au camp de Buchenwald. Il participa au soulèvement des déportés peu avant la libération du camp par les troupes américaines dirigées par le général Patton. Le livre de Jorge Semprun " L’écriture ou la vie " (Ed. Gallimard 1994), est une relation et une réflexion sur son incarcération de seize mois à Buchenwald.
  2. A partir du 15 juillet 1937, les SS font construire le camp de Buchenwald par 149 prisonniers parmi lesquels se trouvent des opposants au régime, des témoins de Jéhovah, des homosexuels, des criminels. A la fin de l’année 1938, plus de 2 500 hommes sont enfermés dans le camp de Buchenwald parmi lesquels des Juifs internés après la « Nuit de Cristal ». La guerre y amena des prisonniers soviétiques (7 à 9000 y furent assassinés) et polonais. Une cinquantaine de personnalités, dont Léon Blum, y furent prisonnières. Les communistes allemands y constituèrent en 1943 une organisation clandestine et préparèrent une insurrection à l’approche de la libération du camp. A la fin de la guerre, le camp grossit des prisonniers évacués d’autres camps parmi lesquels un millier d’enfants juifs venus d’Auschwitz. Le 11 avril 1945, les prisonniers prirent le contrôle du camp quelques heures avant l’arrivée des soldats américains dont Jorge Semprun décrit la réaction lorsqu’ils le virent : « Ils sont en face de moi, l’œil rond, et je me vois soudain dans ce regard d’effroi : leur épouvante … »
    De 1937 à 1945, 250 000 prisonniers venus de toute l’Europe furent enfermés dans le camp de Buchenwald. Environ 56 000 y moururent. Lorsque les camps de l’est furent évacués, des dizaines de milliers de prisonniers y furent entassées dans des conditions effroyables. 13 000 personnes y moururent au début de l’année 1945. Parmi les témoignages consacrés à Buchenwald figurent les dessins qu’y réalisa Boris Taslitzky.
    La ville de Weimar, à proximité de laquelle fut construit le camp de Buchenwald, fut la capitale du duché de Saxe-Weimar. Elle devint au XVIIIème siècle le centre de la vie culturelle allemande : Herder, Goethe et Schiller y résidèrent. En 1919, y fut proclamée la Constitution qui créa la République allemande dite « de Weimar »1.
  3. Le lieutenant américain reproche aux habitants de Weimar, ville qui a une place essentielle dans la tradition culturelle et politique allemande, leur indifférence et leur passivité alors qu’ils vivaient à proximité du camp dont ils ne pouvaient ignorer l’existence :
    « Votre jolie ville, leur disait-il, si propre, si pimpante, pleine de souvenirs culturels, cœur de l'Allemagne classique et éclairée, aura vécu dans la fumée des crématoires nazis, en toute conscience ! »
  4. Cette photographie réalisée par Margaret Bourke-White fait écho au texte de Jorge Semprun : des femmes qui pleurent et le regard fuyant du vieil homme au premier plan. La photographe montre la visite imposée aux habitants de Weimar dont aucun regard ne croise l’objectif. Jorge Semprun décrit plus de quarante ans après la scène dont il fut témoin et qui fut photographiée par Margaret Bourke-White dont il connaît le travail.

1 Jorge Semprun, L’écriture ou la vie, Folio, Gallimard, 1994.Il s’agit de la première phrase du livre.