Professeur | Elève
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1. La photographie et le texte


1a. Photographie aérienne de la ville d’Ypres (Belgique) après les bombardements, parue dans l’hebdomadaire Le Miroir du dimanche 22 août 1915

Photographie aérienne de la ville d’Ypres (Belgique) après les bombardements Cliquer pour agrandir l’image
Source: Anonyme, « Vue à vol d’oiseau de l’infortunée ville d’Ypres et de sa halle des drapiers en leur état actuel », Le Miroir, n° 91, Dimanche 22 août 1915, p. 8-9, s.d., 275 mm x 447 mm, © Le Miroir, Collection et reproduction J.-M.B.

Légende de la photographie

« Cette photographie, prise d’un aéroplane, a été agrandie directement sans subir la moindre retouche. En regardant les maisons on voit que très peu d’entre elles sont indemnes. »

« Comme Nieuport et les malheureux villages de l’Yser, la ville d’Ypres n’est plus, à peu de choses près, qu’un lamentable amas de décombres et cette belle photographie prise à bord d’un avion, montre quels ravages affreux y déchaînèrent les obus. C’est le 22 novembre que les célèbres Halles de Beaudouin de Flandres reçurent les premiers projectiles allemands. On les réparait, et, comme à la cathédrale de Reims, les échafaudages s’embrasèrent, propageant l’incendie. Il ne reste plus que les murs ; encore ceux-ci portent-ils des brèches énormes, près du grand beffroi notamment. La cathédrale Saint-Martin, que l’on aperçoit derrière les Halles, a été aussi la proie des flammes, de même que le Nieuwerk, l’Hôtel de ville, la Halle à la boucherie où était installé le musée de la ville. On voit ici la grand’place d’Ypres, une des gloires architecturales de la Belgique, et, derrière les Halles des drapiers, la place Vandenpeereboom. Beaucoup de vieilles et curieuses maisons n’ont plus de toit. Les autres ont été, pour la plupart, atteintes par les obus, et, démantelées, lézardées, ne tiennent plus debout que par miracle. »

Présentation

Le Miroir, créé en 1910, se présente depuis le numéro du 4 avril 1912 comme un « hebdomadaire entièrement illustré par la photographie ». Tirant à 300 000 exemplaires au début de la guerre et à un million en 1918, il se donne pour objectif de faire partager le vécu de la guerre aux lecteurs de l’arrière et, pour ce faire, publie des photographies de provenance diverse, en proposant l’achat de « documents photographiques relatifs à la guerre présentant un intérêt particulier. »

La ville d’Ypres/Ieper se situe en Belgique. Lors de la bataille de Flandres ou première bataille d’Ypres, les offensives de l’armée allemande sont arrêtées par les armées françaises et britanniques au prix de pertes humaines très importantes. À partir de décembre 1914, les chefs d’état major comprennent que la victoire ne sera pas acquise rapidement et les deux camps multiplient les tranchées. Lors de la deuxième bataille d’Ypres en avril-mai 1915, où sont engagées aussi les troupes canadiennes, la ville est bombardée et l’armée allemande commence à utiliser les gaz sur le front ouest.

Publiée en double page centrale de l’hebdomadaire, la photographie est anonyme et n’est pas datée précisément. Elle provient de la Section photographique de l’armée, c’est donc une photographie qui a été contrôlée. Il en a été publié d’autres tirages qui montrent qu’elle a été légèrement recadrée pour la maquette de la double page et qu’elle date du début de l’été 1915, soit après la deuxième bataille d’Ypres (20 avril – 24 mai 1915) bien que la légende ne fasse référence qu’à la première bataille d’Ypres (29 octobre – 24 novembre 1914). L’orientation des ombres montre que la photographie a été prise en fin d’après-midi.

La Section photographique de l’armée est créée en avril 1915 pour servir la propagande française et répondre à la propagande adverse, les différents ministères, la commission des dommages ainsi que les archives de guerre ayant besoin de témoignages des destructions de monuments historiques, « d’irrécusables documents à opposer aux mensonges allemands », d’évocations de la vie de l’armée (Paul Ginisty, « La bataille devant l’objectif », Le Petit Parisien, vendredi 11 juin 1915).

Les photographies de ruines urbaines sont fréquentes depuis les guerres de Crimée et de Sécession. Confrontés aux difficultés de saisir l’action dans son déroulement, les photographes en montrent plus souvent les préparatifs et attestent des résultats. La publication dans l’hebdomadaire a pour objectif d’informer et de faire partager la souffrance des populations tout en dénonçant un ennemi qui ne respecte même pas le patrimoine ancien.

Questions 1a

  1. En quoi ce document témoigne-t-il des formes modernes de la guerre ?
  2. En quoi la photographie peut-elle être l’outil efficace d’un reportage réaliste sur les combats et les destructions (ne pas oublier que la photographie et sa légende constituent un tout) ?
  3. Relever puis analyser les champs lexicaux du texte accompagnant la photographie.
  4. Pourquoi peut-on parler de « belle photographie » ?

Voir les réponses aux questions dans l'onglet "professeur".

1b. Albert Londres, « L’agonie de la Basilique », Le Matin, 29 septembre 1914

« Elle est debout, mais pantelante.

Nous suivons la même route que le jour où nous la vîmes entière. Nous comptions la distance, guettant le talus d'où elle se montre au voyageur, nous avancions, la tête tendue comme à la portière d'un wagon lorsqu'en marche on cherche à reconnaître un visage. Avait-elle conservé le sien ?

Nous touchons le talus. On ne la distingue pas. C'est pourtant là que nous étions l'autre fois. Rien. C'est que le temps moins clair ne permet pas au regard de porter aussi loin. Nous la cherchons en avançant.

[...] Les premières maisons de Reims nous la cachent. Nous arrivons au parvis.

Ce n'est plus elle, ce n'est que son apparence.

C'est un soldat que l'on aurait jugé de loin sur sa silhouette toujours haute, mais qui, une fois approché, ouvrant sa capote, vous montrerait sa poitrine déchirée.

Les pierres se détachent d'elle. Une maladie la désagrège. Une horrible main l'a écorchée vive.

Les photographies ne vous diront pas son état. Les photographies ne donnent pas le teint du mort. Vous ne pourrez réellement pleurer que devant elle, quand vous y viendrez en pèlerinage.

Elle est ouverte. Il n'y a plus de portes. Nous sommes déjà au milieu de la grande nef quand nous nous apercevons avoir le chapeau sur la tête. L'instinct qui fait qu'on se découvre au seuil de toute église n'a pas parlé. Nous ne rentrions plus dans une église.





Il y a bien encore les voûtes, les piliers, la carcasse mais les voûtes n'ont plus de toiture et laissent passer le jour par de nombreux petits trous ; les piliers, à cause de la paille salie et brûlée dans laquelle ils finissent, semblent plutôt les poutres d'un relais ; la carcasse, où coula le réseau de plomb des vitraux n'est plus qu'une muraille souillée où l'on ne s'appuie pas.

Deux lustres de bronze se sont écrasés sur les dalles. Nous entendons encore le bruit qu'ils ont dû faire. Des manches d'uniformes allemands, des linges ayant étanché du sang, de gros souliers empâtés de boue, c'est tout le sol. Comment l'homme le plus catholique pourrait-il se croire dans un sanctuaire !..

.

Nous prenons l'escalier d'une tour. Les deux premières marches ont sauté. Tout en le montant, notre esprit revoit les blessures extérieures. Nous devons être au niveau de ce fronton où Jésus mourait avec un regard si magnanime. Le fronton se détache, maintenant, telle une pâte feuilletée, et Jésus n'a plus qu'une partie sur sa joue gauche. Plus haut est cette balustrade que, dans leur imagination, les artisans du moyen âge ont dû destiner aux anges les plus roses ; la balustrade s'en va par colonne, les anges n'oseront plus s'y accouder. Puis c'est chaque niche, que l'on n'a plus, maintenant qu'à poser horizontalement, à la façon d'un tombeau, puisque les saints qu'elles abritaient sont pour toujours défaits ; c'est chaque clocheton, dont les lignes arrachées se désespèrent de ne plus former un sommet ; c'est chaque motif qui a perdu son âme de sculpteur. Et nous montons sans pouvoir chasser de nous cette impression que nous tournons dans quelque chose qui se fond autour.

Nous arrivons à la lumière. Sommes-nous chez un plombier ?

Du plomb, du plomb en lingots biscornus. La toiture disparue laisse les voûtes à nu. La cathédrale est un corps ouvert par le chirurgien et dont on surprendrait les secrets.

Nous ne sommes plus sur un monument. Nous marchons dans une ville retournée par le volcan. Sénèque, à Pompéi, n'eut pas plus de difficultés à placer le pied. Les chimères, les arcs-boutants, les gargouilles, les colonnades, tout est l'un sur l'autre, mêlé, haché, désespérant.

Artistes défunts qui aviez infusé votre foi à ces pierres, vous voilà disparus.

Le canon, qui tonnait comme de coutume, ne nous émotionnait plus. L'édifice nous parlait plus fort. Le canon se taira. Son bruit, un jour ne sera même plus un écho dans l'oreille, tandis qu'au long des temps, en pleine paix et en pleine reconnaissance, la cathédrale criera toujours le crime du haut de ses tours décharnées.

Nous redescendons. Nous sommes près du chœur. De là, nous regardons la rosace - l'ancienne rosace. Il ne lui reste plus qu'un tiers de ses feux profonds et chauds. Elle créait dans la grande nef une atmosphère de prière et de contrition. Et le secret des verriers est perdu !

En regardant ainsi, nous vîmes tomber des gouttes d'eau de la voûte trouée. Il ne pleuvait pas. Nous nous frottons les yeux. Il tombait des gouttes d'eau. C'était probablement d'une pluie récente ; mais pour nous, ainsi que pour tous ceux qui se seraient trouvés à notre côté, ce n'était pas la pluie : c'était la cathédrale pleurant sur elle-même.

Il nous fallut bien sortir.

[...] Les maisons qui l'entourent sont en ruines. Elles avaient profité de sa gloire. Elles n'ont pas voulu lui survivre. On dirait qu'elles ont demandé leur destruction pour mieux prouver qu'elles compatissent. En proches parents, elles portent le deuil.

Le canon continue de jeter sa foudre dans la ville. Les coups se déchirent plus violemment qu'au début. Que cela peut-il faire maintenant ? La cathédrale de Reims n'est plus qu'une plaie. »

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Source: Albert Londres, « L’agonie de la Basilique », Le Matin, 29 septembre 1914. © BnF (http://gallica.bnf.fr/). Il existe une retranscription du texte sur les pages « Histoire et patrimoine » du site de L’Assemblée nationale (http://www.assemblee-nationale.fr/histoire/guerre_14-18/reims_albert-londres.asp).

Présentation

Albert Londres (1884-1932), journaliste au Matin, devient en 1914 correspondant militaire au ministère de la guerre. Comme correspondant de guerre, il couvre le bombardement de Reims en septembre 1914. Il réalise ensuite des reportages sur la guerre dans le sud-est de l’Europe pour Le Petit Journal. Soucieux de la qualité de ses reportages, il se bat contre la censure et la propagande. Ses reportages des années 1917-1918 sur les différents fronts sont regroupés dans un livre intitulé Contre le bourrage de crâne.

Questions 1b

  1. D’après Albert Londres, qu’est-ce que la photographie des ruines ne peut pas montrer ? Pourquoi ?
  2. Pourquoi le bombardement de la cathédrale de Reims a-t-il profondément choqué l’opinion en 1914 ?
  3. Quels sont les avantages et les inconvénients réciproques du texte et de la photographie dans le reportage de guerre ?

Voir les réponses aux questions dans l'onglet "professeur".


Présentation du Contexte Historique et Analyse

Le genre de l’image des ruines urbaines de guerre est concomitante de la diffusion de la photographie qui, faute de pouvoir saisir l’action en raison des temps de pause, s’attache dès les guerres de Crimée et de Sécession aux traces, ainsi que de l’augmentation de la portée des armes modernes. Abondamment utilisées dans les journaux, les photographies de bombardement montrent la complémentarité entre les affrontements militaires sur le terrain de la guerre de position et les destructions systématiques de villes destinées autant à gêner l’adversaire qu’à anéantir la société civile dans la vie quotidienne. La photographie de villes en ruines, pour laquelle la véracité est toujours affirmée – photographie publiée « sans subir la moindre retouche » – devient l’image même de la transgression de toutes les règles et les traditions guerrières, la preuve du franchissement d’un seuil dans la barbarie et l’ignominie de l’adversaire. Les légendes et les commentaires, en soulignant fortement la dimension patrimoniale et identitaire des destructions (les halles anciennes, la cathédrale, l’hôtel de ville...) insistent sur l’affectivité et la perte de repères, voire dans certaines photographies jouent sur l’intime et l’empathie ou la fascination ambiguë de la mort et de la souffrance, du néant, censés être communiqués immédiatement par l’image « vraie » : « l’infortunée ville », « les malheureux villages », les « ravages affreux », etc. Les photographies, reprises dans les manuels contemporains, participent à la construction d’une mémoire collective, dont les débats postérieurs sur la conservation des ruines montrent qu’elle est partiellement organisée.

Enfin, depuis les photographies des guerres de Crimée et de Sécession, la photographie de ruines, volontairement esthétisée – l’expression « cette belle photographie » est ici ambivalente – renouvelle un genre esthétique, où la dénonciation pacifiste, l’accusation criminelle s’appuient sur une fascination poétique des débris : théâtralisation des ruines par le jeu des lumières et des ombres, individualisation formelle, étrangeté des perspectives, etc.

Les représentations du bombardement de la cathédrale de Reims sont nombreuses (voir par exemple l’analyse du dessin d’Émile Boussu sur le site de l’histoire par l’image : http://www.histoire-image.org/site/oeuvre/analyse.php?i=311&d=371) et accompagnent souvent la dénonciation du geste inutile ; l’image est érigée en symbole d’une volonté sans précédent de destruction, d’anéantissement des symboles de l’identité nationale qui ne respecte rien. Ces images largement diffusées, pendant la guerre, puis, après 1918, sous forme de cartes postales portant souvent la mention « Français, souvenez-vous » servent largement la propagande où l’ennemi fait figure de barbare inadapté et insensible à la civilisation. Le mardi 21 septembre 1914, Le Petit Journal (tous les numéros du Petit Journal sont téléchargeables su Gallica : http://gallica.bnf.fr), sous le titre « Le vandalisme allemand » (article non signé), après avoir fait référence au chef d’œuvre d’architecture et à sa place dans l’identité nationale exprime la condamnation et la colère face à ce qui est qualifié d’acte de lâcheté:

« [...] On parle souvent de vandalisme sans peser la valeur du mot. Cette fois les Vandales de 406 qui massacrèrent Saint-Nicaise au seuil de l’église majeure de Reims ont eu de pires descendants, car ceux-ci ne risquaient pas, de près, comme les autres, la hache et l’épée.

Cachés dans le lointain, forts de leur artillerie de siège préparée pour Paris et que la victoire de la Marne avait préparés à la retraite, les Allemands, Vandales modernes, ont arrosé d’obus cette capitale de la Champagne où ils n’avaient pu s’abreuver assez à loisir des vins généreux que leurs contrefacteurs ne parvenaient pas à imiter. »

Le numéro du 22 septembre publie la protestation de Delcassé, ministre des Affaires étrangères avec des mots peu différents :

« Sans pouvoir évoquer même l’apparence d’une nécessité militaire, et pour le seul plaisir de détruire, les troupes allemandes ont soumis la cathédrale de Reims à un bombardement systématique et furieux. A cette heure, la fameuse basilique n’est plus qu’un monceau de ruines. Le gouvernement de la république a le devoir de dénoncer à l’indignation universelle cet acte révoltant de vandalisme qui, en livrant aux flammes un sanctuaire de notre histoire, dérobe à l’humanité une parcelle incomparable de son patrimoine artistique. »

Quelques jours plus tard, à propos de la destruction de Senlis dans un article titré « Inutile cruauté » Raoul Beauveau va beaucoup plus loin :

« L’humanité ne saurait être rendue responsable des fléaux qui la frappent : la variole, la peste, le choléra sont déchaînés en dehors de la volonté des hommes. A ne considérer que les actes, on se demande si la race abjecte qui nous combat ne vient pas d’être frappée dans son ensemble d’une maladie cérébrale, non que je veuille en rien excuser ses inutiles atrocités mais pour en chercher une explication. Un cerveau normal ne saurait en effet enfanter pareilles horreurs ; l’atteinte morbide, la décomposition entraînant la pourriture morale, lui sont en l’espèce d’un concours nécessaire.

[...] Pourquoi tant de sang d’innocentes victimes versé sans but ; ces ruines accumulées à plaisir ? Pour la seule satisfaction d’une jouissance malsaine, du spectacle de la désolation, un sadisme satanique guide partout les envahisseurs [...] les hordes barbares ont passé par là semant la mort, l’imbécile dévastation [...] Ces brutes avinées n’ont pas borné là leurs actes de bêtes furieuses lâchées en liberté [...] » Le Petit Journal, dimanche 27 septembre 1914.

Dans sa volonté de se battre contre la propagande, officielle et celle de certains journalistes, Albert Londres, s’attache à la description des ruines, évitant, en dehors de l’appellation « les Boches », fréquente sous sa plume, de diaboliser l’adversaire tout en luttant contre la censure lorsqu’il devient correspondant de guerre (voir à ce sujet Pierre Assouline, Albert Londres. Vie et mort d’un grand reporter 1884-1932, Paris, Balland, 1989).

Les numéros de septembre et d’octobre du Miroir (voir http://www.1914-1918.fr) choisissent aussi une tonalité plus factuelle, accumulant les photographies de ruines, malgré quelques commentaires plus incisifs :

« Une vue du côté ouest de la cathédrale. C’est après la victoire de la Marne que le retour offensif des troupes françaises contraignit les Allemands à évacuer Reims. Leur rage alors ne connut plus de bornes et ils détruisirent sciemment la cathédrale. » Le Miroir, 4 octobre 1914, p. 9.

« Un nouveau crime allemand commis à Reims », Le Miroir, 3 septembre 1916, p. 2.

Le Miroir multiplie les photographies de ruines de Reims jusqu’en 1918, les points de vue du factuel à l’émotionnel et à l’esthétique (voir Joëlle Beurier, Images et violence 1914-1918. Quand le Miroir racontait la Grande Guerre..., p. 41-49).

Pourtant dans la presse illustrée, de façon certes moins appuyée que dans la presse écrite, c’est bien aussi de propagande qu’il s’agit par l’accumulation et la réitération au fil des numéros de ces photographies de ruines destinées à témoigner des destructions et à dénoncer l’ennemi qui les propage, sans raison militaire, ainsi l’emploi du verbe « oser » dans le numéro du 13 septembre 1914 « Ce que les Allemands ont osé détruire » à propos de la cathédrale et de la Halle aux draps de Malines, de l’Hôtel de ville de Louvain..., et la reprise du même verbe dans le numéro du 4 octobre « La merveille qu’ils ont osé bombarder » légendant une « Photographie de la cathédrale de Reims prise quelques mois avant la guerre ».

Questions 1a

  1. En quoi ce document témoigne-t-il des formes modernes de la guerre ?

    La photographie met bien évidence d’une part la portée des canons et la guerre à distance (voir l’article du mardi 21 septembre 1914 dans Le Petit Journal sur la destruction de la cathédrale de Reims), d’autre part l’usage de l’aviation et de la photographie aérienne. Autour de 1860, Nadar en France, James Wallace Black aux États-Unis réalisent les premières photographies aériennes en ballon (voir aussi l’exposition Léon Gimpel (1873-1948, les audaces d’un photographe au Musée d’Orsay : http://www.musee-orsay.fr/fr/manifestations/expositions/au-musee-dorsay/presentation-detaillee/browse/1/article/leon-gimpel-7824.html). Les premières photographies depuis un avion sont prises autour de 1910, et, assez rapidement, à partir de la première bataille de la Marne, l’aviation est utilisée en reconnaissance et en observation, entre autres pour le réglage de l’artillerie. Plus que la photographie au sol, la photographie aérienne, fait figure de document simplement informatif – dès la Première Guerre mondiale, elle est utilisée pour la réalisation des cartes topographiques –.

  2. En quoi la photographie peut-elle être l’outil efficace d’un reportage réaliste sur les combats et les destructions (ne pas oublier que la photographie et sa légende constituent un tout) ?

    La photographie est le reflet d’une certaine réalité cadrée à un moment donné selon un point de vue, elle donne donc un état de la réalité à une date et une heure précises. Faute de renseignements, l’intention et l’intervention du photographe lors de la prise de vue et du tirage ne sont pas connues, non plus que l’intention du « maquettiste » qui a réalisé la page, auxquelles il convient de confronter le regard du spectateur actuel, tout en s’interrogeant sur la contextualité et l’anachronisme du regard (cf. à propos du regard actuel sur une certaine photographie de guerre, Baldner Jean-Marie, « Un anachronisme-pratique », in « Les voies traversières de Nicole Loraux. Une helléniste à la croisée des sciences sociales », EspacestempsLes cahiers, n° 87-88, 2005). Parce qu’il est un soldat pris dans l’action, le photographe, malgré la possibilité de réaliser des instantanés dans de bonnes conditions de lumière avec les appareils dont on dispose à cette époque, ne peut réaliser sa photographie qu’à un moment donné, souvent avant ou après l’action.

  3. Relever puis analyser les champs lexicaux du texte accompagnant la photographie.

    Le vocabulaire patrimonial, relativement important, oppose la culture, la civilisation des alliés et la barbarie des ennemis, thème fréquent de la propagande. Le vocabulaire de l’esthétique des ruines – qui pourrait renvoyer aux tableaux d’Hubert Robert au XVIIIe siècle – est aussi particulièrement présent.

  4. Pourquoi peut-on parler de « belle photographie » ?

    Ce vocabulaire de l’esthétique photographique valorise la photographie qui, par la qualité de l’image, est censé en renforcer le caractère de témoignage et de compassion.

Questions 1b

  1. D’après Albert Londres, qu’est que la photographie des ruines ne peut pas montrer ? Pourquoi ?

    La photographie n’est qu’une représentation, un écran face à la réalité que seule la présence rend sensible.

  2. Pourquoi le bombardement de la cathédrale de Reims a-t-il profondément choqué l’opinion en 1914 ?

    Le bombardement des œuvres patrimoniales, surtout dans le cas de Reims où il est question de l’identité même de l’État-nation n’est pas considéré comme un objectif militaire. Il est donc en soi inutile – et lâche –, contraire à l’image que l’on se fait de la guerre. Il atteint le patrimoine de l’humanité et détruit les références mêmes de l’esthétique commune ainsi qu’en témoigne la Gazette de Francfort du 8 septembre 1914 citée dans le numéro du Petit Journal du 21 septembre 1914 (téléchargeable sur Gallica : http://gallica.bnf.fr/).

  3. Quels sont les avantages et les inconvénients réciproques du texte et de la photographie dans le reportage de guerre ?

    Voir la présentation des documents.