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3. At the gates of Paris, the Zone


3a. La Cité Doré Privat d’Anglemont Alexandre, Paris Anecdote. Les industries inconnues - La Childebert - Les oiseaux de nuit- La villa des chiffonniers

« Là-bas, bien loin, au fond d’un faubourg impossible, plus loin que le Japon, plus inconnu que l’intérieur de l’Afrique, dans un quartier où personne n’a jamais passé, il existe quelque chose d’incroyable, d’incomparable, de curieux, d’affreux, de charmant, de désolant, d’admirable. On vous a parlé de carbets de Caraïbes, d’ajoupas de nègres marrons, de wigwams de sauvages, de tentes d’Arabes ; rien ne ressemble à cela ? C’est plus extraordinaire que tout ce qu’on peut dire. Les camps de Tartares doivent être des palais auprès. Et cependant cette chose, qui ferait frissonner un habitant de la rue Vivienne, est dans Paris, à deux pas du chemin de fer d’Orléans, à dix minutes du Jardin des Plantes, à la barrière des Deux-Moulins en un mot.

Cela a le nom de cité Doré, non par antiphrase, mais parce que M. Doré, chimiste distingué est propriétaire du terrain. Vu d’en haut, c’est une réunion de cabanes à lapins où logent des chrétiens. Vu de près, c’est douteux, mais après tout c’est consolant. C’est une ville dans une ville, c’est un peuple égaré au milieu d’un autre peuple. La cité ne ressemble pas plus à l’autre Paris que Canton ne ressemble à Copenhague. C’est la capitale de la misère se fourvoyant au milieu de la contrée du luxe ; c’est la république de Saint-Marin au centre des États d’Italie ; c’est le pays du bonheur, du rêve, du laisser-aller, posé par le hasard au cœur d’un empire despotique.

[...] En 1848, M. Doré eut l’idée de diviser sa propriété pour la louer aux bourgeois de Paris, qui, comme on sait, ont une passion toute particulière pour le jardinage [...] L’affiche Terrain à vendre ou à louer au mètre se pavanait au vent depuis quelques jours, quand M. Doré, qui s’attendait à y voir enter pour le moins quelque Némorin de la rue Saint-Denis ou un Daphnis et une Chloé du quartier du Temple, vit apparaître un chiffonnier de la plus belle espèce, hotte au dos, crochet à la main [...]

C’était un homme laborieux, intelligent, plein de courage. Dès l’aube du jour suivant, il était à l’ouvrage, entouré de sa nombreuse famille. Ils creusaient les fondations de leur villa champêtre, ils achetaient, à cinquante centimes le tombereau, des garnis de démolition, et quelques jours après ils se mettaient bravement à édifier [...]

Au bout de trois mois, la maison était construite de fond en comble. Le toit était posé. Ce toit avait été fait avec de vieilles toiles goudronnées sur lesquelles on avait posé de la terre battue. Au printemps suivant, on planta des clématites, des capucines et des volubilis sur ce toit, de façon que, lorsque vint l’été, la famille semblait habiter dans un nid parfumé [...]

L’expérience de la terre et de la toile goudronnée faite par le premier habitant de l’endroit n’avait pas réussi. L’eau avait détrempé la terre ; elle était devenue trop lourde, elle avait crevé la toile. Il fallait trouver quelque chose de nouveau et de moins coûteux. C’est alors qu’un chiffonnier eut une idée sublime !

À Paris tout se vend, excepté le vieux fer-blanc ; il fallait donc employer le vieux fer-blanc, qui est très abondant, surtout depuis que presque toutes les caisses de marchandises exportées sont doublées avec des feuilles de ce métal. On se mit à ramasser ce que les autres dédaignaient, de façon qu’aujourd’hui la majeure partie des maisons de la cité sont recouvertes en fer-blanc. Dans les premiers temps, elles ont l’air d’être coiffées de casques d’argent. Mais quand, à la suite des pluies, la rouille s’y est mise, cela produit le plus déplorable effet ; cela donne à ces pauvres demeures une apparence hideuse de niche à chien.

[...] Ainsi, en moins de quatre ans, voici tout un quartier qui s’est bâti, peuplé, régularisé, sans avoir coûté un seul sou à la ville de Paris ; des gens qui habitaient des rues infectes, des logements où ils ne pouvaient ni bouger ni respirer, qui aujourd’hui sont propriétaires et y ont presque tous des magasins ou des hangars pour déposer leur récolte de chiffons et d’os. Ils ont de l’air, une vue admirable, dans un quartier sain [...] Nous l’avons souvent dit : assainir, c’est moraliser, et les faits sont là pour prouver ce que nous avançons. »

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Source: La Cité Doré Privat d’Anglemont Alexandre, Paris Anecdote. Les industries inconnues - La Childebert - Les oiseaux de nuit- La villa des chiffonniers, Paris, A. Delahays, 1854, La villa des chiffonniers, pp. 217-230 (the whole text can be downloaded from the web), réédition Paris, Les éditions de Paris, 1984, pp. 173-181.

3b. À Saint-Ouen, Bruant Aristide

« Un jour qu’il faisait pas beau,
Pas ben loin du bord de l’eau,
Près d’la Seine ;
Là où qui’ pouss’ des moissons
De culs d’bouteill’s et d’tessons,
Dans la plaine ;
Ma mèr’ m’a fait dans un coin.
À Saint-Ouen. (bis)

C’est à côté des fortifs,
On n’y voit pas d’gens comifs
Qui sent’ l’musque,
Ni des mom’s à qui qu’i faut
Des complets quand i’ fait chaud,
C’est un lusque
Dont les goss’s ont pas d’besoin,
À Saint-Ouen. (bis)

À Paris y a des quartiers
Où qu’les p’tiots qu’ont pas d’métiers
I’s s’font pègre ;
Nous, pour pas crever la faim,
À huit ans, chez un biffin,
On est nègre
Pour vivre, on a du tintoin,
À Saint-Ouen. (bis)

C’est un métier d’purotin,
Faut trimarder dans Pantin
En savates,
Faut chiner pour attraper
Des loupaqu’s ou pour chopper
Des mill’pattes ;
Dame on nag’pas dans l’benjoin,
À Saint-Ouen. (bis)

Faut trottiner tout’ la nuit
Et quand l’amour vous poursuit,
On s’arrête...
On embrasse... et sous les yeux
Du bon Dieu qu’est dans les cieux...
Comme un’ bête.
On r’produit dans un racoin,
À Saint-Ouen. (bis)

Enfin je n’sais pas comment
On peut y vivre honnêt’ment
C’est un rêve ;
Mais on est récompensé
Car comme on est harassé
Quand on crève...
El’ cim’tière est pas ben loin.
À Saint-Ouen. (bis) »

Source: words and music can be downloaded from the web.

3c. Halbwachs Maurice, La politique foncière des municipalités

« Mais les municipalités ne s’inspireront pas seulement de raisons d’esthétique ou d’hygiène. Elles n’oublieront pas que les modes suivant lesquels les habitants d’une ville sont distribués et groupés influent beaucoup sur leurs sentiments sociaux. Obligées d’accepter provisoirement la division spontanée des villes en quartiers riches et pauvres, et d’appliquer, en matière foncière, des règlements distincts à ces régions ainsi séparées, elles considéreront qu’une telle opposition est provisoire. Les socialistes ne nient point hypocritement l’existence des classes : mais ils ne tiennent pas à ce qu’elles s’isolent les unes des autres dans l’espace. Sans doute, il y aura toujours des emplacements meilleurs que d’autres, des maisons plus aérées, plus proches des centres, des parcs, des plus belles avenues. Sans doute aussi, c’est là que les plus riches s’établiront de préférence. Mais il n’y aura plus, si les municipalités le veulent, des parties compactes de la ville qui sont comme les camps retranchés de la population bourgeoise, où celle-ci s’habitue à ignorer, à craindre, à détester la classe ouvrière, massée à d’autres points de l’horizon, en des quartiers ou des rues où l’on ne s’aventure pas.

Tout le mal vient de ce qu’on ne reconnaît pas les relations d’étroite solidarité par où tous les intérêts et toutes les régions de la ville se rattachent. L’anarchie qui résulte en général de la propriété individuelle se manifeste ici avec intensité. Ce ne sont pas les mêmes propriétaires qu’on exproprie et qui profitent des transformations de la ville. Ceux des quartiers riches se soucient peu des quartiers pauvres, et de ce qui s’y peut passer.

Les propriétaires de maisons bâties ne désirent pas que soient mis en valeur les terrains non bâtis voisins. Plusieurs propriétaires d’un même terrain ne s’entendent pas sur le tracé des rues nouvelles, et la redistribution de leurs parcelles. Les bourgeois ne s’aperçoivent pas que la misère, le manque d’air et d’espace, dans les régions pauvres de la ville, produisent la tuberculose et les maladies infectieuses qui les guettent. Les ouvriers ignorent que les quartiers riches produisent chaque année, sous forme de plus-value, les ressources nécessaires pour transformer les quartiers misérables, et que la Ville les laisse capter. »

Source: Halbwachs Maurice, La politique foncière des municipalités, Paris, Librairie du parti socialiste, 1908 (text can be downloaded from the site Classiques des sciences sociales).

Presentation

These three documents, which cover fifty years, come from very different writers: a poet and chronicler of Paris, a singer and a sociologist. However, they all point to the social segregation in Paris: the disparity between the rich and middle-class quarters and those reserved for the poor and homeless. The transformation and modernization of the city in the nineteenth century notably included replacing the narrow streets with wide avenues and improving the sanitary conditions in central Paris. These works, supervised by the prefects of the Seine: Claude-Philibert Barthelot, comte de Rambuteau (1781 - 1869, prefect of the Seine from 1833 to 1848) and Georges Eugene Haussmann (1809-1891, prefect of the Seine from 1853 to 1870), resulted in the eviction of a number of poor Parisians from the new quarters. They moved then to the popular quarters or to the suburbs of the city where they had to confront the migrants.

Questions

  1. Find in a dictionary or in the Internet who Aristide Bruant and Maurice Halbwachs were.
  2. According to documents 3a and 3c, how was the town spatially organized?
  3. Find the location of Saint-Ouen in relation to Paris on the page “La saga des fortifications” on Saint-Ouen’s town website (http://www.ville-saintouen.fr/index.php?pge=110).
  4. Write down all the words you don’t know from Aristide Bruant’s song and try to give a definition for each word based on this text and previous texts. Why did he use this vocabulary? How did the inhabitants of the area in Saint-Ouen live, according to this song?

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Answers

  1. Aristide Bruant (1851-1925) was a French singer. He sang about the street and the “little people”, using in his songs many slang terms. He performed in cabarets including Le chat noir and Le mirliton.
    Maurice Halbwachs (1877-1945) was a French sociologist. He was professor at the University of Strasbourg, the Sorbonne and the Collège de France. Having completed a thesis on La classe ouvrière et les niveaux de vie (Alcan, 1913), he wrote many books including Les Cadres sociaux de la mémoire (Alcan, 1925) and Les Causes du suicide (Alcan, 1930). He died during internment in a concentration camp.
  2. Both documents focus on the urban segregation partly due to the modernization of Paris under Haussmann Rambuteau and prefects.
  3. Fortifs: old Parisian fortifications
    Les gens comifs: right people
    Lusque: luxury
    Se faire pègre: to become a thief
    Biffin: a scavenger
    Nègre: a handyman
    Tintouin: anxiety, embarrassment
    Purotin: who live in misery
    Trimarder: a wander
    Loupaques: lice or bedbugs
    The slang terms were mainly connected with poverty which people experienced in Saint-Ouen.