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1. Les exclus de l’urbanisation, la Zone


1a. Photographie d’Eugène Atget, Zoniers. Porte de Montreuil (20e arrondissement), 1913

Zoniers. Porte de Montreuil (20e arrondissement) Cliquer pour agrandir l’image
Source: Photographie positive sur papier albuminé tirée entre 1913 et 1915, d'après un négatif sur verre au gélatino-bromure de 1913, 16,9 x 21,9 cm. © Bibliothèque nationale de France, Estampes Oa 173c réserve, microfilm : G045822, N ° Atget : 440. 1913 [Cote : BNF - Est. Oa 173c rés. ; n ° micr (http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b3100004z/f30.item).

1b. Photographie d’Eugène Atget, Zoniers. Porte d’Italie, 1913

Zoniers. Porte d’Italie Cliquer pour agrandir l’image
Source: Photographie positive sur papier albuminé d'après négatif sur verre au gélatinobromure ; 17 x 21,6 cm (épr.) ; 39,4 x 27,5 cm (sup.). [Cote : BNF - Est. Oa 173c rés. ; n ° micr. G. N ° Atget : 407. 1913 (http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b3100004z/f42.item).

1c. Photographie d’Eugène Atget, Poterne des Peupliers : zoniers (13ème arrondissement), 1913

Poterne des Peupliers : zoniers (13ème arrondissement) Cliquer pour agrandir l’image
Source: Photographie positive sur papier albuminé d'après négatif sur verre au gélatinobromure ; 16,8 x 21,2 cm (épr.) ; 39,4 x 27,5 cm (sup.. [Cote : BNF - Est. Oa 173c rés. ; N ° Atget : 429 (http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b3100004z/f44.item).

1d. Photographie d’Eugène Atget, Cité Doré. 70, Boulevard de la Gare : 13ème arrondissement, 1900

Cité Doré. 70, Boulevard de la Gare : 13ème arrondissement Cliquer pour agrandir l’image
Source: Photographie positive sur papier albuminé d'après négatif sur verre au gélatinobromure ; 21,9 x 16,9 cm (épr.) ; 39,4 x 27,5 cm (sup. [Cote : BNF - Est. Oa 173c rés. ; n ° m, N ° Atget : 4059. (http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b3100004z/f51.item).

Présentation

Ces quatre photographies qui appartiennent à un album de 60 photographies sur « les zoniers », ont été réalisées sur plaque de verre et tirées sur papier par Eugène Atget (1857-1927). La technique utilisée par Eugène Atget nécessite un temps de pose assez long et toutes les personnes photographiées ont pris la pose. Les photographies ont été prises dans la zone militaire des fortifications qui entouraient Paris à partir de 1841, où s’entassaient toutes les populations qui n’avaient pas les moyens de se loger à Paris ou dans les villes environnantes. Certains des habitants de la Zone, comme les chiffonniers, pratiquaient de petits métiers, ils récupéraient et revendaient les vieux papiers et chiffons, les objets hors d’usage.

Questions

  1. Situe la zone et les lieux où ont été prises les photographies sur un plan de Paris de la fin du XIXe ou du début du XXe siècle (par exemple Plan de Paris de E. Andriveau-Goujon, 1882, accessible en tapant ces références sur un moteur de recherche). Compare avec un plan contemporain (http://www.geoportail.fr/). Que trouve-ton aujourd’hui sur l’ancienne emprise de la zone ?
  2. Quels types de bâtiments trouve-t-on dans la Zone ? Quels sont les matériaux utilisés ?
  3. Quelle est l’activité des habitants visible sur les photographies ?
  4. Le photographe avait-il besoin de l’accord des personnes pour la prise de vue ? Pourquoi ?

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Contexte Historique et Analyse

Malgré la célébrité actuelle des albums photographiques d’Eugène Atget, surtout après l’importante rétrospective organisée par la Bibliothèque nationale de France en 2007, on connaît peu de choses de la vie d’Eugène Atget. Il est né à Libourne le 12 février 1857 et mort à Paris en 1927. Après avoir été peut-être marin, et avoir commencé une carrière d’acteur, il abandonne le théâtre auquel cependant il continue de s’intéresser toute sa vie, notamment en donnant des conférences. Vers 1890, il commence à réaliser des documents photographiques pour les artistes, puis, vers 1897-1898, il entreprend de photographier systématiquement les quartiers anciens de Paris appelés à disparaître ainsi que les petits métiers condamnés par l’essor des grands magasins, regroupant ses photographies en album et en séries dont différentes institutions françaises et étrangères possèdent des collections pour la plupart accessibles sur la toile (Bibliothèque nationale de France, MoMA, George Eastman House, Musée Carnavalet, Bibliothèque historique de la Ville de Paris, Archives photographiques du Patrimoine...). Les photographies de la Zone présentées sont tirées d’un album intitulé « Les zoniers » de 60 photographies, présentées sur le site de la BnF (http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b3100004z.r=Eug%C3%A8ne+Atget.langFR) dont les négatifs ont été réalisées entre 1899 et 1913.

Toute sa vie de photographe, Eugène Atget utilise une technique déjà désuète, une chambre noire en bois de format 18 x 24, pourvue d’un objectif qui corrige les aberrations sphériques (objectif dit rectilinéaire), visible sur certaines photographies. Comme négatifs, il emploie des plaques de verre sensibilisées au gélatino-bromure. Il tire ses positifs sur papier albuminé – à la fin de sa vie, il utilise un papier photo-sensible au gélatino-chlorure d'argent, le papier aristotype –, par contact direct à l’aide de châssis-presses exposés à la lumière naturelle. Ces choix ont des conséquences autant sur la prise de vue que sur le rendu d’une grande finesse des positifs. Les temps de pose sont longs. Ils interdisent l’instantané – la photo volée – et les sujets en mouvement apparaissent sous forme de traces transparentes aux contours flous. Les « zoniers » présents sur les photographies savent qu’ils sont photographiés et prennent, ou au minimum, acceptent la pose. En l’absence d’écrit et de précision sur les photographies réalisées à la périphérie de Paris, il n’est pas interdit de formuler quelques hypothèses sur les rapports entre le photographe et ses sujets, en regard notamment des textes qui mettent en avant la fierté des zoniers et la dangerosité de la Zone.

D’un strict point de vue topographique, la Zone correspond à la "zone militaire fortifiée", non aedificandi, instaurée en 1841 et déclassée par la loi du 19 avril 1919. Très visible sur les plans antérieurs à la destruction des murailles qui ceinturaient Paris, l’emprise des anciens remparts et de leur glacis (dont il reste quelques vestiges à la Poterne des Peupliers et dans le Parc Kellermann dans le 13e arrondissement et porte de Bercy dans le 12e arrondissement) correspond à peu près aujourd’hui à l’espace compris entre les boulevards des maréchaux et le périphérique. Les débats sur la protection de Paris occupent tout le début du XIXe siècle jusqu’à la création par le gouvernement d’Adolphe Thiers en 1836 d’une commission de Défense du royaume qui associe, dans son rapport final remis en 1839, une enceinte continue et une ligne de forts. Déclaré d’utilité publique le projet est voté en 1841, malgré de nombreux opposants :

« Je repousse ce projet insensé. La force de la France n’est pas dans les murailles de Paris : la force est dans son peuple, dans son soldat. On ne peut pas nourrir et contenir une ville de 500 000 âmes et, Paris assiégé, c’est le gouvernement renversé et la France saisie au cœur ! Qu’est-ce donc au fond pour l’Europe ? Une capitulation avant la bataille. Personne ne s’y trompe ! 500 millions pour cela ? C’est trop stupide pour une vérité, c’est trop cher pour un mensonge. Je repousse [le projet] au nom du bon sens, de la dignité, de l’humanité et de la liberté de mon pays. » Alphonse de Lamartine, Le Moniteur, 22 janvier 1841.

L’ouvrage, réalisé entre 1840 et 1845, ceinture Paris sur une largeur de 128 m, englobant totalement ou partiellement de nombreuses communes (Belleville, Grenelle, Charonne, Vaugirard, Montmartre, Bercy, Les Batignolles, Passy, La Chapelle, Ivry, Auteuil, Montrouge). Il comprend une rue de 6 m de largeur, un mur doublé d’un fossé de 40 m, une contrescarpe, un glacis, qui devient le 1er janvier 1860 la limite de Paris, et 65 ouvertures (portes, barrières, poternes, chemin de fer, canaux). Devenue très vite « la promenade classique du peuple ouvrier et des petits bourgeois » (Émile Zola, Le Messager de l’Europe, 1878), la zone non aedificandi se couvre après la guerre de 1870 et la Commune de buvettes et attire les chiffonniers et les marchés aux puces. Différentes estimations faites avant 1914 décomptent de 30 000 à 200 000 habitants :

« Il y a actuellement sur la zone militaire 12.132 constructions d’ordres divers ; plus de la moitié, soit 6.805, ne sont que des baraques en planches ou en carreaux de plâtre sans valeur, et pour la plupart non habitées ; 3.134 sont des bâtiments essentiellement légers et d’essence précaire ; le reste, soit 2.193 bâtisses, représente 966 pavillons, 932 édifices à usage industriel ou commercial et 295 maisons de rapport dont 130 seulement ont plus de trois étages. » Louis dausset, Rapport sur le déclassement total de l’enceinte fortifiée, l’annexion de la zone militaire, et sur le projet de convention entre la ville de paris et l’État, Paris, 1912, p. 25, cité par Cohen Jean-Louis, Lortie André, Des Fortifs au Périf. Paris, les seuils de la ville, catalogue de l’exposition, Paris, Éditions du Pavillon de l’Arsenal, 1991, p. 67.

Les photographies d’Eugène Atget prises dans différents lieux, tout autour de Paris, montrent différents aspects des populations de chiffonniers et de leurs conditions d’habitation, des maisons en dur jusqu’aux cabanes de planches et aux roulottes. Les autres photographies de l’album, accessibles sur le site de la BnF, permettent de se faire une idée de la topographie. Ces quatre photographies et l’album dans son entier ont évidemment une forte résonnance dans l’actualité où se mêlent discours empreints de misérabilisme ou de bons sentiments qui peuvent plus ou moins masquer le rejet des marginaux, discours sur la dangerosité, la morbidité et le coût pour la collectivité de populations qui « profiteraient » indument de la protection sociale, débats politiques et médiatiques où entrent en concurrence les autorités politiques, les institutions sociales et sanitaires et les associations caritatives, pas toujours dénuées de considérations extérieures à la précarité de ces populations.

Réponses

  1. Les photographies ont été prises dans la zone militaire des fortifications de Paris, où se sont installés de nombreuses buvettes que les parisiens fréquentaient le dimanche et, surtout après la guerre de 1870, des populations d’exclus comme les chiffonniers. Cette zone militaire a été déclassée en 1919, elle est occupée aujourd’hui par les boulevards des maréchaux, les habitations à loyer modéré construites à partir des années 1930 et quelques stades, ainsi que le périphérique.
  2. En dehors des bâtiments en dur à la limite de l’urbanisation parisienne, la Zone est essentiellement occupée par des baraquements en bois, en plaques de plâtre, en tôles et en carton ainsi que par des roulottes.
  3. Deux des photographies montrent l’activité de chiffonniers qui récupèrent dans Paris tous les vieux papiers et chiffons et les objets usagers qu’ils revendent au poids ou sur les marchés aux puces.
  4. Eugène Atget utilise une chambre en bois et des plaques de verre de 18 x 24 cm comme négatif. L’appareil, posé sur pied, est lourd et long à installer, le temps de pose est important. Le photographe ne peut donc photographier que des sujets qui posent ou au minimum consentant. Les personnes en mouvement n’apparaissent pas sur les photographies ou seulement à l’état de trace. En recherchant dans les collections en ligne de la Bibliothèque nationale de France, on peut voir quelques photographies d’Atget où figure sa chambre et de nombreuses photographies où les personnes en déplacement apparaissent comme des fantômes, voir « Le sujet dans l’objet » (http://classes.bnf.fr/atget/pistes/04.htm) et « L’acte et le geste photographiques » (http://classes.bnf.fr/atget/pistes/05.htm) dans les pistes pédagogiques de l’exposition virtuelle Atget. Regards sur la ville de la Bibliothèque nationale de France (http://classes.bnf.fr/atget/index.htm).