Professeur | Elève
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4. Une population marginale et des lieux considérés comme dangereux


4a. La ville insalubre, Le Corbusier, Urbanisme

« Son bord est devenu une zone trouble et étouffante comparable à d’immenses camps de romanichels entassés dans leurs roulottes au milieu du désordre de l’improvisation. Si bien que l’extension de la ville ne se fait plus qu’au travers d’un obstacle puissant. Le fait nouveau des banlieues immédiates n’existait pas au temps des villes militaires dont le contour net conditionnait une organisation intérieure précise.

Le centre des villes est malade mortellement, leur pourtour est rongé comme par une vermine. »

Source: La ville insalubre, Le Corbusier, Urbanisme, Paris, G. Crès & Cie, 1925, p. 87-88, cité in Cohen Jean-Louis, Lortie André, Des Fortifs au Périf. Paris, les seuils de la ville, catalogue de l’exposition, Paris, Éditions du Pavillon de l’Arsenal, 1991, p. 187.

4b. Flourens J., Les fortifications, leur histoire, leur désaffection future et ses conséquences

« La zone a ses habitants et ses cabarets, généralement mal fréquentés : ce n’est pas là l’un de ses moindres inconvénients. La population de ces parages est composée surtout de chiffonniers, vagabonds, gens sans aveu de l’un et l’autre sexe vivant dans la plus grande promiscuité, logeant dans des baraques ou même dans des voitures ambulantes ou des wagons hors d’usage, sans aucun souci de l’hygiène.

Ces gens-là ne sont évidemment pas les propriétaires : ils ne sont que des occupants à titre plus ou moins précaire et dans bien des cas, croyons-nous, sans titre aucun.

Les délits de tout genre, vols, attaques à main armée, sont dans cette région plus nombreux que partout ailleurs ; la surveillance de la police et la recherche des malfaiteurs y sont plus particulièrement difficiles.

Enfin, les conditions dans lesquelles vivent ces individus laissent beaucoup à désirer au point de vue de la salubrité.

Ils constituent pour les communes voisines et pour les quartiers périphériques de Paris un voisinage malsain et dangereux, un sujet perpétuel d’inquiétudes et de plaintes.

En résumé, la zone des servitudes militaires établie autour de Paris nous semble très contestable au point de vue légal ; elle est certainement inutile à la défense, injuste pour les intéressés et constitue un danger économique et social. »

Source: Flourens J., Les fortifications, leur histoire, leur désaffection future et ses conséquences, Paris, Larose, 1908, p. 74-75, cité in Cohen Jean-Louis, Lortie André, Des Fortifs au Périf. Paris, les seuils de la ville, catalogue de l’exposition, Paris, Éditions du Pavillon de l’Arsenal, 1991, p. 66-67.

4c. Gaboriau Émile, Monsieur Lecoq

« Le 20 février 18.., un dimanche, qui se trouvait être le dimanche gras, sur les onze heures du soir, une ronde d’agents du service de la sûreté sortait du poste de police de l’ancienne barrière d’Italie.

La mission de cette ronde était d’explorer ce vaste quartier qui s’étend de la route de Fontainebleau à la Seine, depuis les boulevards extérieurs jusqu’aux fortifications.

Ces parages déserts avaient alors la fâcheuse réputation qu’ont aujourd’hui les carrières d’Amérique.

S’y aventurer de nuit était réputé si dangereux, que les soldats des forts venus à Paris, avec la permission du spectacle, avaient ordre de s’attendre à la barrière et de ne rentrer que par groupes de trois ou quatre.

C’est que les terrains vagues, encore nombreux, devenaient, passé minuit, le domaine de cette tourbe de misérables sans aveu et sans asile, qui redoutent jusqu’aux formalités sommaires des plus infâmes garnis.

Les vagabonds et les repris de justice s’y donnaient rendez-vous. Si la journée avait été bonne, ils faisaient ripaille avec les comestibles volés aux étalages. Quand le sommeil les gagnait, ils se glissaient sous les hangars des fabriques ou parmi les décombres de maisons abandonnées.

Tout avait été mis en œuvre pour déloger des hôtes si dangereux, mais les plus énergiques mesures demeuraient vaines.

Surveillés, traqués, harcelés, toujours sous le coup d’une razzia, ils revenaient quand même, avec une obstination idiote, obéissant, on ne saurait dire à quelle mystérieuse attraction. »

Source: Gaboriau Émile, Monsieur Lecoq, 1869, chapitre 1.

Présentation

Ces trois extraits montrent les représentations que l’on se fait de la Zone :

  • zone insalubre qui empêche l’extension et la modernisation de la ville où la majorité de la population vit dans des conditions d’hygiène difficile,
  • espace dangereux où se retrouvent tous les malfaiteurs, les vagabonds, les repris de justice et que les bourgeois, et même les militaires n’osent traverser.

Le Corbusier suit de très près la désaffection des espaces militaires après 1919 et les projets qui se suivent pour résoudre la crise du logement. Il critique notamment les boulevards des maréchaux et les habitations à loyers modérés construites dans l’entre-deux-guerres sur les anciens bastions de la ceinture militaire de Paris qu’il considère comme des désastres architecturaux et urbanistiques.

Questions

  1. Recherche sur la toile qui est Le Corbusier et quelques exemples de ses réalisations. Comment, au regard de ses réalisations, peut-on comprendre ses critiques ?
  2. Selon les documents 4b et 4c, comment se compose la population de la zone ?
  3. Quelles sont les différences avec les textes précédents et les photographies d’Eugène Atget ?

Voir les réponses aux questions dans l'onglet "professeur".


Contexte historique et analyse du document

Entre attirance et répulsion, la Zone est l’objet d’une abondante littérature dont ne sont proposés ici que quelques exemples. Le choix a été de diversifier les types de textes, notamment dans le domaine littéraire (voir bibliographie), inutile donc de s’attarder sur chacun des auteurs, dont certains sont par ailleurs connus des élèves :

  • un poète, Charles Baudelaire (1821-1867)
  • un poète et chroniqueur de Paris, Alexandre Privat d’Anglemont (1815-1859)
  • un chansonnier, Aristide Bruant (1851-1925)
  • un sociologue, Maurice Halbwachs (1877-1945)
  • un architecte, Charles-Édouard Jeanneret-Gris dit Le Corbusier (1887-1965)
  • un juriste Jean Flourens
  • un écrivain, Émile Gaboriau (1832-1873)

On préférera étudier dans ces extraits les champs lexicaux, en les organisant selon les vocabulaires mélioratif et dépréciatif qui montrent la perception complexe de la Zone et de ses habitants.

http://remue.net/spip.php?article1947

Réponses

  1. Le Corbusier (1887-1965) est un architecte et un urbaniste définit, dans la revue L'Esprit Nouveau, une approche architecturale et urbanistique modernes caractérisées par des formes simples dont la structure lisible constitue l’esthétique. Il réalise notamment en 1929 la Villa Savoye à Poissy, véritable manifeste de l’architecture moderne. À Paris, il réalise la cité-refuge de l'Armée du salut en 1929 et le Pavillon Suisse de la Cité internationale universitaire en 1930-1932. Après la Seconde Guerre mondiale, il construit à Marseille la Cité radieuse, où il met en pratique ses théories dans la réalisation d’immeubles parallélépipédiques sur pilotis.
  2. Les textes insistent surtout sur la dangerosité des populations constituées essentiellement de délinquants misérables.
  3. Avec ces documents se termine un tour d’horizon des principales représentations de la Zone, magnifiée pour l’indépendance de ses habitants ou rejetée pour leur dangerosité. Selon les objectifs qu’ils visent, les auteurs mettent ainsi en avant les côtés positifs ou négatifs de la misère et de l’exclusion.